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171025 mai 2009 — Puisqu’il le faut bien, la presse célèbre donc ce qu’on peut considérer comme “le retour” de l’ancien vice-président Dick Cheney. Il est indiscutable que cet étrange personnage, porteur jusqu’à l’extrême d’un certain nombre de vices et de défauts politiques jusqu’au stéréotype, alliant à la fois intolérance, grossièreté, médiocrité et fanatisme religieux, a repris une place centrale sur la scène politique washingtonienne. C’est déjà un premier enseignement, – une mesure du délabrement de ladite scène.
Il est rarissime de voir un des élus suprêmes de l’administration précédente s’engager dans une campagne féroce contre le président élu, quatre mois après avoir quitté le pouvoir. Mais, la main sur le cœur, l’on vous répondra que c’est pour la sécurité nationale, non, pour la sauvegarde de la grande Amérique. Le plus écrasant est que Dick Cheney le croit ingénument, sans aucun doute, entre deux émoluments d’Halliburton; en vérité, l’un (la conviction sincère) et l’autre (les émoluments) vont de pair dans ce grand pays, sans grand embarras.
Enfin, voici un message de l’Observer du 24 mai 2009 sur ce phénomène politique assez exceptionnel. Le texte est émaillé de considérations diverses sur la “performance” de Cheney que constitue son retour, lui qui fut l’incontestable champion de l’impopularité la plus justifiée qui soit («While most senior Bush alumni were in hiding, Dick Cheney – Darth Vader himself, Mr Unpopularity, the last guy you'd supposedly want out there making the case – stepped on to the field», écrit l’ami Bill Kristoll du Weekly Standard»); cela, au point où certains le voient désormais comme le leader dont les républicains à la dérive sont privés, d’autres jusqu’à soupçonner qu’il préparerait une candidature à la présidence, – bref, les commentaires habituels d’une excitation temporaire exacerbée par l’incongru dans un milieu qui ne vit que par la constante instabilité, la constante remise en question, qui cultive la déstructuration intellectuelle et politique comme la vertu même du civisme. Les lieux communs ne manquent pas, sur les vertus soudaines qu’on trouve à Cheney, son alacrité, son patriotisme intransigeant, son sens du devoir, son comportement civique et sa sombre rigueur qu’on qualifierait presque de vertueusement désintéressée, sa volonté de protéger la sécurité de tous les citoyens des USA. L’exceptionnel de la chose se trouve dans les conditions ainsi observées, qu’un personnage d’un tel calibre, chargé de tant d’années d’impostures et d’erreurs, de tant de compromissions corruptrices accomplies avec une sorte de rigueur assurée, inspirateur de politiques indignes et catastrophiques, réapparaisse effectivement, avec un tel entrain et trouvant un tel écho.
«Barack Obama, unlike George Bush who wanted to be in bed before 10pm, likes to work late. But even by his standards Wednesday was out of the ordinary, sitting up in a largely empty White House until 2.30am as he edited a speech an adviser later described as one of the most important of his life.
»He was still nervous about it when he rose to deliver it eight hours later. Normally Mr Cool, he fluffed his opening, referring to the defence secretary, Robert Gates, as Bill, the Microsoft founder.
»Part of the explanation for the bout of jitters is that Obama is struggling to contain an ever-growing row over the future of Guantánamo Bay and the security apparatus created by the Bush administration as part of its “war on terror”. But there is another factor: the return of an opponent the Democrats had thought of as politically dead: Dick Cheney. The sinister, reclusive figure at the heart of the Bush administration, who attracted labels such as Darth Vader and Dr Strangelove, has returned to the heart of Washington and is causing havoc. Obama and Cheney were billed to speak at roughly the same time, though at different Washington venues. The US media described it as the political equivalent of Ali v Frazier.
»It was all a long way from 20 January when Cheney had left the White House a seeming broken man ready for retirement. The Republicans were in disarray, still coming to terms with the election losses in November. The policies with which Cheney had been associated, chiefly the invasion of Iraq, had long been discredited. And Cheney himself, as Obama prepared to take over the White House, was in a wheelchair, having put his back out lifting a box in preparation for the removal van.
»The next day, back home in Wyoming, the state senate passed a resolution wishing him and his wife a happy retirement in which they could “lay their heavy burdens down and fish and write to their hearts' content”. That resolution, along with the hopes of all those Democrats who thought that they had seen the last of him, proved premature.
»He has forced Obama on the defensive for the first time since becoming president, giving demoralised Republicans something finally to cheer about. “Cheney is seriously the only person who's got the White House to change its policy,” Dan Senor, a foreign policy adviser in the Bush administration, told the Washington Post. […]
»Republicans have been applauding. “I would have originally said that Cheney on torture would have been a net negative for the modern Republican party, which is working to put Bush and Cheney behind us,” said Grover Norquist, an influential figure in shaping US conservatism over the past two decades. “It has worked out well for the Republicans. Cheney is looking good.”
»The conservative Weekly Standard is also cheering. Another influential conservative, William Kristol, writing in the current issue, said: “While most senior Bush alumni were in hiding, Dick Cheney - Darth Vader himself, Mr Unpopularity, the last guy you'd supposedly want out there making the case - stepped on to the field. He's made himself the Most Valuable Republican of the first four months of the Obama administration.”»
Depuis le début 2008, Cheney (et Bush avec lui, puisqu’il faut le signaler) n’existait plus. Les primaires, puis les péripéties électorales, la crise montante, puis l’explosion 9/15 (faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008) avaient pulvérisé l’administration Bush paralysée dans son impuissance, et Cheney plus que tout autre, et avec lui les montages sur la guerre contre la terreur (GWOT). Ce fut justement, bien entendu, cette crise et la disparition de la scène de la narrarive virtualiste de GWOT et du reste, qui assurèrent l’élection de Barack Obama. Les deux événements étaient liés et, avec eux, la désintégration de Cheney & Cie, et tout ce qui allait avec. Ainsi Obama avait-il son sort lié à la crise, ce qui était à la fois l’évidence historique et la bonne tactique politique.
Dans ce cas, le retour de Cheney aujourd’hui est une circonstance absolument consternante, dont la cause principale ne peut être attribuée qu’à Obama. Le constat est que le président des USA n’a pas su assurer le précieux capital qui fonde sa popularité, d’homme de la rupture, et d’une rupture justifiée par la très grave crise qui affecte les USA, dont l’administration Bush-Cheney a puissamment contribué à la prolifération. (Ce qui importe n'est pas le pourcentage de la popularité de BHO, mais les causes, plus ou moins profondes, plus ou moins solides, de cette popularité. Profondeur et solidité laissent, dans ce cas, beaucoup à penser, et l'on pourrait douter qu'elles soient très impressionnantes, – et BHO, par conséquent, pas du tout à l'abri d'une brusque chute de popularité.)
Ces circonstances constituent ce que nous considérons comme la première grave faute du président Obama depuis son entrée en fonction. Effectivement, lui seul porte la responsabilité du “retour” de Cheney, lui seul l’a rendu possible. Bien entendu, ce “retour” de Cheney est un symptôme parmi d'autres de cette faute qui, en elle-même, porte une gravité bien plus grande; de même y a-t-il d’autres symptômes, comme l’apparition au premier plan de l’affaire de Guantanamo, la place désormais énorme prise par la guerre en Afghanistan, toutes ces choses qui constituent des éléments de l’embourbement d’Obama dans la politique de ses prédécesseurs, dont sa première mission impérative était de la liquider. Le “retour” de Cheney ne durera pas, à moins d’une addition extraordinaires de circonstances encore plus basses que celles qu’on connaît en général à Washington, parce que le personnage n’a aucune valeur originale propre, qu’il est enfermé dans ses obsessions, dans ses propres stéréotypes, que son “retour” n’est pas un événement politique en soi mais le symptôme, la conséquence de la faute d’Obama. L’événement qui compte, c’est cette faute. Obama pourrait certes la rectifier, s’il la réalise et s’il la mesure; on voit de plus en plus difficilement qu’il puisse le faire de lui-même; l'idée devient alors qu'il faudrait un événement extérieur, un nouveau choc (un nouveau 9/15?) pour qu’il y parvienne. Ajoutons raisonnablement qu’un tel choc est loin, vraiment très loin d’être exclu (cela n'implique pas nécessairement sa réaction comme on la décrit mais la permet et la suggère éventuellement, rien de plus).
Quelle explication donner de cette faute d’Obama? Sans aucun doute, il s’agit d’une façon générale de sa répudiation de tout ce qui pourrait ressembler à un acte de rupture du type “American Gorbatchev”, ce qui implique par conséquent son acceptation des règles et normes du système. On peut toujours avancer que c’est partie remise, parce que c’est toujours partie remise, particulièrement dans les conditions instables qui perdurent aujourd’hui. Ce n’est pas pour autant une assurance et, pour l’instant, on est conduit à juger qu’on est loin d’une telle possibilité.
Ci-dessous, nous publions un court extrait de notre prochaine chronique de defensa de notre Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie, en date du 10 juin 2009, en cours d’écriture. Le passage propose une explication de cette “faute du président Obama”, qui a permis l’établissement des conditions propice au retour de Dick Cheney.
«Au départ, on pouvait croire que cet homme avait compris la dimension extrêmement tragique de la situation dont il héritait. Il partait prêter son serment devant la Capitole, bardé du souvenir d’Abraham Lincoln et de la référence à Franklin Delano Roosevetl. Peut-on trouver plus tragique dans l’histoire des USA? Effectivement, pendant près de deux mois, Barack Obama sembla percevoir la crise comme une tragédie nationale. Dans ce cas-là, – nous voulons dire, quand on a une telle perception, – on ne finasse pas et on ne s’embarrasse pas, ni de son conseiller en communications, ni de son conseiller économique. La tragédie est une chose trop essentielle pour être laissée à ces sous-fifres postmodernes. Puis tout changea.
»Cela se passa alors que Ben Bernanke découvrait les premières pousses du printemps à venir. Force est de constater que BHO ne fit pas opposition et, peut-être, s’accorda-t-il sur ce point avec la président de la Federal Reserve; il passa du registre de Shakespeare à celui du fleuriste. C’est en effet autour de la fin mars que le président des USA changea complètement de registre. D’une appréciation tragique et dramatique de la situation, il passa à une appréciation arrangeante, selon les normes de la Fed, – la seule originalité ayant été de remplacer les “green shoots” par tel ou terme (“glimmer of hope”).
»C’est la première grande erreur de son mandat de président. En changeant ainsi sa dialectique du registre tragique au registre virtualiste, il répondait d’abord au “redressement” de Wall Street consistant à noyer les banques sous des avalanches de subventions diverses; il ignorait parallèlement l’aggravation et l’élargissement continus de la crise économique, c’est-à-dire des citoyens, des déshérités, des victimes réelles de la crise. Il est caractéristique qu’il ait gagné, à partir de là, l’honneur douteux d’être comparé, par certains commentateurs, bien plus volontiers à Herbert Hoover qu’à Franklin Delano Roosevelt. La lecture de ce commentaire de William Greider, de The Nation (pourtant des amis, en principe), le 7 mai 2009, n’est pas de ceux qui ont du plaire à BHO: “When the $800 billion economic stimulus spending fully kicks in, [...] [t]here will be ‘a chicken in every pot,’ as Herbert Hoover used to say. Barack Obama’s wholesome optimism is doubtless sincere, and so was Herbert Hoover’s. But in Hoover’s day, people did not believe him. They could see for themselves it wasn’t true. In time, Americans came to revile Hoover for his repetitious happy talk. President Obama is now flirting with the same fate...”
»C’est un étrange choix, – s’il s’agit d’un choix, – une étonnante absence de sensibilité, un échec de l’intuition bien préoccupant, de voir BHO changer si brusquement de registre et de tonalité. N’a-t-il pas compris que ni Lincoln, ni FDR, ne furent jamais des optimistes au coeur de leurs plus graves crises, mais des volontaristes, ne dissimulant pas une seconde la dimension tragique de la situation mais proclamant qu’il s’agissait de l’affronter à force de volonté?»
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